818Views 0Commentaire
Curatée par Mohamed Thara, l’exposition collective réunissant dix-neuf artistes* à la galerie casablancaise 38 est, indubitablement, la manifestation artistique majeure de cette rentrée artistique marocaine poussive. Jusqu’au 15 novembre.
Découvertes et confirmations. Peu de faiblesses
Sur les dix-neuf*, tous ne brillent pas du même éclat. Nous avons compté quelques trois ou quatre faiblesses — dont nous tairons le nom par charité. Une découverte, Max Boufethal — dont le cachet quasi décoratif du travail nous a fortement séduit — et une exceptionnelle renaissance-confirmation — déjà relevée à la Biennale de Rabat —, Amina Benbouchta. Le reste, tout le reste, mérite contemplation.
Il serait vain et même inutile, ici, de vous vanter les mérites d’un Mohamed El Baz ou d’un Mounir Fatmi. Ce qu’il faut retenir est que l’exposition est riche, variée, cohérente et fort judicieusement scénographiée. Et qu’il faut donc s’y précipiter, d’autant que la configuration des lieux permet les gestes barrières les plus srictes.
L’exposition est accompagné d’un ouvrage collectif de réflexion, réunissant pas moins dune dizaine de textes — dont certains forts longs et pas tout à fait compréhensibles, comme c’est malheureusement le cas, partout ailleurs, lorsqu’il s’agit d’accompagner de l’art contemporain.
Mais qu’est-ce qu’un art contemporain marocain ? Dans ma participation audit ouvrage accompagnant ladite expo, je me garde bien de répondre de façon tranchée à cette épineuse question autrement que par d’autres questions. Bonne lecture.
Qu’est-ce qu’une Vague blanche ?
L’intitulé — bien trouvé quoique sibyllin — de l’exposition a, immédiatement, évoqué en moi, La grande vague de Kanagawa, d’Hokusai. Éditée en 1830/31, la légendaire estampe japonaise reste, à jamais, cet intemporel chef-d’œuvre de poésie graphique. Les historiens de l’art sont nombreux à estimer que l’effet, si saisissant, que produit sur nous cette image, provient de la conjugaison — inédite en son temps — des règles de l’estampe japonaise traditionnelle et du principe — ô combien européen — de la perspective.
Tradition et modernité — oui, encore ! Métissage. Hybridation. Comment embrasser le monde sans s’y dissoudre ? La question est plus que jamais de mise.
Hier, la Vague avait bouleversé les impressionnistes, aujourd’hui, elle nous épate toujours.
Parfois, le hasard de l’actualité digitale. En scrollant sur mon smartphone, je tombe sur une image faisant étrangement écho à la vague d’Hokusai. Un certain Jonathan Nimerfroh, photographe et surfeur, a, récemment, miraculeusement immortalisé une grosse vague parfaitement gelée, dans son majestueux roulis, au bord d’une plage de Nantucket, petite île du Massachusetts, à une centaine de kilomètres au sud-est de Boston. Impressionnante, troublante ressemblance. La chance de croiser un tel phénomène naturel est rarissime, tant il est de durée éphémère et exige la réunion de conditions météorologiques contradictoires, nous explique-t-on.
Grâce — ou à cause — des réseaux sociaux, des images se télescopent de plus en plus en nous, à travers l’espace et le temps. Oui, nous vivons vraiment des temps nouveaux.
Qu’est-ce qui réunit la quinzaine d’artistes rassemblés, en cette exposition collective, à la Galerie 38, à Casablanca, en cette rentrée 2020/2021 ?
L’âge ? Pas vraiment : il oscille sur un assez large spectre. La pratique ? Peut-être bien, finalement. La pratique régulière, volontaire et engagée, de ce qu’il est convenu d’appeler l’art contemporain — avec ce que le terme comporte d’imprécision.
Un art contemporain marocain ? Oui, peut-être bien. Même si je suis bien conscient de la vanité de vouloir assigner une nationalité aux fruits desdites pratiques artistiques, par ces temps de mondialisation assumée — en tout cas pour ce qui est de ces artistes-là. Artistes dont, par ailleurs, l’appartenance marocaine n’est, pour certains, pas exclusive, loin de là.
Mais… Néanmoins… Il reste quelque chose de partagé entre ces artistes réunis ici. Quelque chose qui ne relève assurément ni du fortuit, ni du circonstanciel. Ce n’est pas parce que je ne sais pas dégager, en toute clarté, les points essentiels de ce partage-là que partage il n’y a pas.
Une certaine façon de voir et d’exprimer le monde, ce vaste monde, à partir de l’étroite, et plus ou moins inconfortable, position inhérente à ceux « nés quelque part » ? Ceux qui ne veulent pas, n’en peuvent plus, de ce fameux choc des civilisations ? Je ne sais pas. Peut-être bien. Les analyses à trop fort caractère anthropo-sociologique appliquées à l’art — contemporain ou pas — sont un peu passées de mode, n’est-il pas ? En tout cas, je m’en méfie.
Le facteur temps est important. Nous n’avons pas suffisamment de recul, selon moi, pour énoncer de trop grandes vérités générales, à propos de cette toujours jeune scène. Je préfère, quant à moi, lorsqu’il s’agit de rendre sensible au lecteur mon sentiment vis-à-vis de ce type de travail, étudier les émotions qu’il éveille en moi, et laisser les mots affleurer à ma conscience, doucement, sans trop intellectualiser mon appréhension des choses. Comme quand je lis de la poésie ou découvre une nouvelle composition musicale.
Malgré la diversité des âges et des parcours des artistes réunis, il y a, à scruter leurs œuvres respectives se côtoyant, comme un même air, une lointaine mélodie qu’on croyait engloutie au fond de la mémoire, mais qui resurgit par bribes entrecoupées et plane au-dessus de nous et nous étreint. On « reconnaît » cet air-là. Évidemment ! Y compris quand l’œuvre en question a pris, pour voir le jour, les chemins de traverse de l’expérimentation la plus pointue, de la démarche subjective la plus autobiographique.
La multiplicité et/ou la confusion des supports choisis ne font que confirmer, quand le propos est sincère et exigeant, l’unicité du récit. L’art contemporain est bien pour cela. En reléguant la technique à l’arrière-plan, en privilégiant le propos sur la forme, l’art contemporain favorise le récit artistique. À condition, évidemment que le propos en question se fasse récit et non discours creux et ronflant — ce qui arrive malheureusement fréquemment, avouons-le…
Il est toujours difficile pour ceux qui doivent présenter une exposition collective comprenant une nombreuse participation, comme ici, de parler de tel artiste plutôt que de tel autre. Pourtant, il faut bien faire des choix si l’on ne veut pas faire dans le style notice de présentation. Assumons jusqu’au bout. J’ai décidé de n’en évoquer qu’un seul. Le premier artiste d’art contemporain marocain « affiché » qu’il m’ait été donné de connaître dans le cadre professionnel et amical : Mounir Fatmi.
En 1998, Fatmi était encore résident à Rabat, bien que déjà fortement courtisé par cet Occident, sauveur et prédateur à la fois, auquel il ne saurait plus longtemps se dérober. Son travail à l’époque consistait à effacer par des couches blanches les toiles qu’il avait fraîchement peintes, après les avoir préalablement montrées à des visiteurs choisis qui acceptaient de se faire photographier juste après. Ce sont les portraits de ces gens-là qui étaient par la suite exposés, dans une délicate quoiqu’assez maniérée mise en abîme.
Il me disait alors ces propos beaux et sibyllins : « On me demande toujours pourquoi j’efface. On ne me demande jamais pourquoi je peins. Je peins et j’efface dans la douleur de ne pas pouvoir m’arrêter ». Je ne sais trop pourquoi, mais je trouve ses mots dignes de clôturer ces quelques lignes dérisoires mais sincères.
*Yassine Alaoui Yoriyas. Sanae Arraqas. Mustapha Azeroual. Amina Benbouchta. Hicham Benohoud. Max Boufathal. M’barek Bouhchchi. Mohamed El Baz. Amine El Gotaibi. Mounir Fatmi. Mohssin Harraki. Fouad Maazouz. Omar Mahfoudi. Randa Maroufi. Hicham Matini. Youssef Ouchra. Nissrine Seffar. Mohamed Thara.
Illustrations d’ouverture.
De gauche à droite : Bones of fury 2020, technique mixte, 100 x 300 x 150 cm de Max Boufathal et l’identité visuelle de la Galerie 38.